L’Abbaye de Tournus

Au second étage du petit clocher de l'abbatiale, deux statues-colonnes représentent les saints patrons de l'abbaye : Valérien, qui porte la palme du martyre et Philibert accompagné de sa crosse.Au second étage du petit clocher de l’abbatiale, deux statues-colonnes représentent les saints patrons de l’abbaye : Valérien, qui porte la palme du martyre, et Philibert accompagné de sa crosse. Si la crypte ne recèle plus les reliques du premier, l’abbatiale abrite toujours celles de saint Philibert depuis plus d’un millénaire.

Les origines du monastère consacré au saint martyr Valérien demeurent obscures. L’église primitive était probablement située à proximité de la voie romaine reliant Lyon à Chalon-sur-Saône.

La date de 875 inaugure le renouveau du monastère, avec l’arrivée des moines de Saint-Philibert. Ceux-ci, qui avaient quitté leur île de Noirmoutier depuis 836, fuyant les incursions normandes, venaient de trouver un refuge définitif à Tournus. L’empereur Charles le Chauve fit don à leur abbé Geilon, non seulement de l’ancienne cella de Saint Valérien, mais aussi du castrum de Tournus.

Jusqu’au XIIe siècle, l’abbaye n’eut de cesse d’accroître sa puissance : en même temps qu’elle conservait autorité sur les nombreux lieux où les reliques de saint Philibert avaient été abritées, lors de leur long périple à travers la France, elle se dota ainsi d’un riche ensemble de possessions.

L’église abbatiale Saint-Philibert de Tournus est un monument majeur de la Bourgogne romane. La présence des célèbres reliques justifia un programme de construction ambitieux, dès les premières années du XIe siècle.

Nombre d’hypothèses furent soulevées depuis la fin du XIXe siècle, concernant la datation de l’édifice. L’on s’attache aujourd’hui à considérer l’église actuelle comme postérieure à l’incendie de 1007-1008 relaté par la chronique du moine Falcon à la fin du XIe siècle.

La crypte à déambulatoire et chapelles rayonnantes, le chevet supérieur ainsi que le transept, furent d’abord construits, probablement autour de 1019, date de la consécration de l’abbatiale. Sont conservées en élévation, la crypte dans son intégralité, ainsi que les parties basses du chevet : l’abside, le chœur et son déambulatoire voûté en berceau tournant.

Autour des années 1030-1040, on édifia à l’ouest de l’ancienne nef, une importante avant-nef, dite « galilée » : le vaste rez-de-chaussée voûté est divisé en trois nefs de trois travées par des piles rondes ; il est surmonté d’un étage qui sera désigné plus tard comme « chapelle Saint-Michel ».

La nef, à l’origine plafonnée, fut entièrement voûtée avant 1100 : tandis que les bas-côtés sont couverts d’arêtes, le vaisseau central est voûté de berceaux transversaux, formule originale et audacieuse qui ne sera reprise qu’en l’église voisine de Mont-Saint-Vincent (71).

Les bâtiments conventuels furent entrepris dès le milieu du XIe siècle : autour du cloître, dont la galerie septentrionale vient s’accoler à l’église (seule des quatre galeries subsistant aujourd’hui), s’étend dans un premier temps l’aile occidentale avec le parloir (ancien locutorium) et le cellier.

L’aile orientale, en revanche, sera conservée dans son état primitif jusqu’à la fin du XIe siècle. Elle abrite, depuis, la salle capitulaire, reconstruite après un incendie au milieu du XIIIe siècle.

Dans la première moitié du XIIe siècle, l’aile sud est réédifiée, abritant le réfectoire voûté, dont on peut toujours admirer l’élévation.

Seule l’ancienne cuisine des moines a disparu, en 1656, qui jouxtait le réfectoire depuis le milieu du XIIe siècle.

Patricia Chadan, historienne de l’art

Des peintures murales

intrados des arcs de passageA l’occasion des interventions sur les voûtes de la nef et des bas côtés, il a été fait appel à Jean-Rémi Brigand dont les travaux de conservation et de restauration ont mis en valeur les peintures murales des intrados des arcs de passage, enrichis d’un décor végétal et animalier typique de l’époque romane, selon un répertoire fantastique à l’exception de la chouette.

L’étude en a été faite par Marie-Gabrielle Caffin, historienne d’art (étude en vente au C.I.E.R).

Un pavement de mosaïque

Lors de l’important chantier de restauration des Monuments Historiques entrepris à l’abbatiale, en 2001, sont apparus dans le sol du déambulatoire des éléments d’un pavement de mosaïque. Juénin, au début du XVIIIe siècle, signalait déjà un pavement polychrome qu’il avait pu observer à l’occasion de la pose d’un dallage demeuré en usage jusqu’à nos jours : « … On aperçut dans un rond de 2 pieds 7 pouces de diamètre, bien conservé, un faucheur ; et dans un endroit du cercle de 7 pouces de large, qui l’environne, le mot IUNIUS en beaux caractères romains. Dans le rond qui suivait, on trouva la figure du cancer qui est le signe du mois de juin ; dans un troisième, une moissonneuse, avec le mot IULIUS » (cf. Nouvelle histoire de l’abbaye royale et collégiale de Saint Filibert et de la ville de Tournus, Dijon, 1723, p. 382).

La décision fut prise par les Monuments Historiques d’une intervention archéologique de terrain, confiée à une équipe de l’I.N.R.A.P, du 29 janvier au 27 février 2002, sous la direction de Benjamin Saint-Jean Vitus. Le dallage de l’hémicycle du déambulatoire fut déposé ; l’atelier de restauration des mosaïques de Saint-Romain-en-Gal intervint également, à la fois pour consolider et nettoyer les éléments mis à jour.

La mosaïque recouvre le sol primitif de terre battue, du XIe siècle, lequel repose directement sur les maçonneries des voûtes de la crypte. Vraisemblablement mise en place lors de la grande campagne de reconstruction de l’abbaye dans les années 1110-1140, la mosaïque fit l’objet de nombreuses reprises pour finalement être recouverte par un lit de terre recevant un sol de tomettes, avant que ne fut installé le dallage de 1722.

entrelacs mosaiques de Saint-PhilibertEtendu sur toute la largeur du déambulatoire (2,60 à 2,70 m), le décor présente, au centre, une succession de médaillons circulaires alternant mois de l’année et signes du Zodiaque, encadrés d’ornements géométriques et végétaux variés. Des bordures complètent l’ensemble, le long des murs, dessinant une frise d’entrelacs et de quatre-feuilles.

Trois couleurs de base furent employées, blanc-gris mat, rouge et noir mat, fournies par des pierres locales, ainsi que par des marbres d’importation, blanc et bleu, provenant d’Italie.

mosaiques de Saint-Philibertcavalier (mois de mai) mosaique de Saint-PhilibertQuatre médaillons, au sud, sont bien conservés : le mois de mai, illustré par un splendide cavalier, blanc comme sa monture ; le signe du gémeaux, représenté par deux personnages nus, accompagnés de l’inscription entièrement conservée « SOL : IN : GEMINIS » ; le mois de juin, « IUNIUS », avec un faucheur, torse et pieds nus ; enfin, le signe du cancer formulé par son inscription et un animal à carapace rouge, avec huit pattes fourchues. Un demi médaillon figurant le mois de juillet – « …LIV… » pour « IULIUS » -, dont ne reste que la demi-couronne décorative, s’inscrit à l’extrémité sud-ouest de l’hémicycle ; « on remarquera qu’il n’y a aucune trace, ni même aucune place, pour la moissonneuse que prétendait avoir vu Juénin ». 

A l’Est et au Nord du déambulatoire, subsistent des parties importantes des couronnes de trois autres médaillons.

Enfin, l’entrée des trois chapelles rayonnantes est décorée d’une bande transversale, dont celle qui fut entièrement dégagée, au sud-est, offre un élégant entrelacs aux tons bleu et rouge.

L’exceptionnel ensemble de mosaïque de Tournus vient occuper une place essentielle dans un corpus français qui demeure restreint. Distincte des autres mosaïques du XIIe siècle, Ganagobie (05), Die (26) ou Saint-Omer (62), elle semble davantage se rapprocher des œuvres bourguignonnes, dont subsistent des vestiges à Saint-Lazare d’Autun (71) et Flavigny-sur-Ozerain (89). Un rapprochement peut également être fait avec les restes d’un calendrier de mosaïque conservés dans une chapelle de l’église abbatiale de Saint-Denis en Ile-de-France.

A Tournus, la « grande rigueur de composition du dessin, les effets de dégradés, d’ombres et de taches de lumière ou de scintillement lumineux dans l’emploi des couleurs pour les figures, reflètent à l’évidence la forte prégnance de modèles antiques, et se retrouvent au Moyen Age presque uniquement en Italie (Modène, Venise). » (cf. B. Saint-Jean Vitus, Tournus, ancienne église abbatiale Saint-Philibert. Mosaïques du déambulatoire du chœur. Document final de synthèse de l’étude archéologique, S.R.A.B., Dijon, 2002).

passerelle mosaiques de Saint-PhilibertUne passerelle a été aménagée pour donner aux visiteurs le possibilité d’admirer ce décor.

 

La redécouverte de ces mosaïques était au cœur du colloque organisé par le C.I.E.R du 17 au 19 septembre 2003 sous le titre « Le Décor retrouvé à Saint-Philibert ». Les actes de ce colloque, au cours duquel furent également évoquées les peintures des intrados, sont disponibles à la vente au C.I.E.R Résonance Romane.